Le Tabac :

Il s'agit d'une première en France, un procès oppose la Caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire à quatre fabricants de cigarettes.
Jusqu'à présent seules les victimes du tabac avaient engagé des procédures pour obtenir des dédommagements des industriels.

Tout d'abord, des chiffres "choc" :

Le tabagisme est un fléau mondial dont les ravages en terme de mortalité dépassent ceux provoqués par les pires épidémies.
Malgré cette évidence, la consommation de tabac qui touche déjà plus d'un milliard d'individus continue d'augmenter dans le monde et les pays en développement suivent dorénavant la voie ouverte dans ce domaine par les pays industriels.
Pour essayer de lutter contre ce phénomène, les Etats membres de l'Organisation mondiale de la Santé ont adopté une convention-cadre qui définit un ensemble de mesures destinées à réduire la mortalité liée au tabac.

Le tabac est un tueur silencieux mais efficace.
Au vingtième siècle, il a provoqué la mort d'environ 100 millions de personnes dans le monde.
Et il tue à l'heure actuelle plus de gens chaque année que le sida, la drogue, les accidents de la route, les meurtres et les suicides réunis.

Près de quatre millions de personnes sont ainsi tous les ans victimes du tabac.
Et les pays en développement ont dorénavant le triste privilège de compter plus d'hommes (1,8 million) qui meurent de maladies liées au tabac que les pays industrialisés (1,6 million).
Les projections pour les prochaines années ne sont donc pas encourageantes. Globalement, on estime qu'un fumeur de longue durée sur deux décèdera d'une cause liée à sa consommation de cigarettes.
A l'horizon 2030, "l'épidémie de tabagisme" pourrait ainsi provoquer la mort de 10 millions de personnes par an dont 70% dans les pays en développement.
Et environ le quart des fumeurs mourront prématurément entre 35 et 69 ans. Même si le pourcentage de fumeurs diminue dans les prochaines années, leur nombre augmentera tout de même en valeur absolue en fonction de la croissance démographique mondiale.

De ce point de vue, c'est dans des pays comme la Chine et l'Inde que l'on attend la plus grosse augmentation des décès dus au tabac.
La lutte contre le tabagisme est d'autant plus difficile que le fait de fumer est considéré comme un plaisir, qu'il provoque un phénomène de dépendance et que les effets sur la santé peuvent passer inaperçus pendant très longtemps.

C'est pour cela que les campagnes de prévention jouent énormément sur l'explication mais aussi sur la peur. La petite phrase que l'on retrouve sur les paquets de cigarette et qui est censée mettre en garde le consommateur "le tabac nuit gravement à la santé" ne réussit bien souvent pas à provoquer une prise de conscience suffisante.
C'est pourquoi de plus en plus, on insiste sur les maladies provoquées par la consommation de tabac.

Cancers du poumon et maladies cardiovasculaires :

Dans ce domaine, les cancers et les maladies cardiovasculaires arrivent en tête de liste.
Le tabac est, en effet, la première cause évitable de cancer.

Dans le seul cas du cancer du poumon qui touche chaque année 1,2 million de personnes et provoque presque 18% de l'ensemble des décès dus au cancer, un fumeur court 20 à 30 fois plus de risques d'en développer une forme qu'un non fumeur.
Dans le cas des cancers du larynx ou du pharynx, le risque relatif est multiplié par six. Même le tabagisme passif est dangereux et provoque une augmentation du risque de déclarer une crise d'asthme ou des maladies respiratoires (bronchite, pneumonie).
La diminution de la fréquence des cancers dans le monde passe donc essentiellement par la lutte contre le tabagisme associée à la promotion d'une meilleure alimentation.
Ces deux facteurs ont été à l'origine de 43% des décès imputables au cancer en 2000 (2,7 millions) et de 40% des nouveaux cas (4 millions).
Les fumeurs sont de la même manière les principaux candidats à l'attaque cardiaque.

Selon une étude réalisée au Royaume-Uni, un fumeur âgé de 30 à 40 ans aurait cinq fois plus de chances d'avoir une crise cardiaque qu'un non-fumeur du même âge.
En règle général, les décès par maladies cardiovasculaires attribuables au tabac sont plus nombreux que ceux par cancer du poumon, qui est pourtant le principal cancer du fumeur (625 000 contre 514 000 en 1995 dans les pays développés).
Des chercheurs de la Harvard Medical School de Boston ont d'autre part montré que fumer 20 cigarettes par jour multiplie par deux le risque de faire une attaque cardiaque.
Même si les effets de la consommation de tabac sur la santé sont indéniables, il n'est jamais trop tard pour arrêter et on en tire toujours un bénéfice.
Un an après le sevrage, le risque de cardiopathie coronarienne diminue déjà de moitié et revient au niveau de n'importe quel non fumeur au bout de 15 ans. Dans le cas du cancer du poumon, il faut attendre entre 10 et 14 ans pour voir le risque de mortalité diminuer jusqu'à redevenir normal.

Dans ce contexte, l'Organisation mondiale de la Santé a finalement réussi, après quatre années de négociations, à élaborer un traité international sur la lutte antitabac.
Ce texte a été adopté à l'unanimité lors de l'Assemblée générale de l'OMS, en mai, malgré les réticences de certains pays comme les Etats-Unis, notamment sur l'interdiction de la publicité.
L'adoption de ce traité marque une étape importante car il s'agit de la première convention internationale en matière de santé publique. Reste à savoir quand le texte atteindra le seuil minimum de ratifications nécessaire (40 Etats) pour qu'il puisse commencer à être appliquer. On sait d'ores et déjà que cela prendra plusieurs années.

Les industriels du tabac en ligne de mire :

Lors de la XIème conférence mondiale sur le tabac de Chicago, les scientifiques, les activistes anti-tabac et les responsables gouvernementaux examinent les moyens de s'opposer à la progression du nombre de décès liés à la consommation de tabac, principalement dans les pays en voie de développement.
Les pays en développement constituent aujourd'hui la cible principale de l'industrie du tabac.
C'est dans ces pays qu'existent encore des marchés à conquérir pour les multinationales, et c'est vers ces pays que se portent leurs efforts commerciaux.
Trouver les moyens de contrecarrer cette stratégie constitue le principal objectif des participants. Pendant une semaine, près de 4000 personnes (scientifiques, activistes anti-tabac, responsables gouvernementaux et représentants d'organisations) multiplient les mises en cause des fabricants de cigarettes dans la foulée du rapport que vient de publier l'OMS (Organisation mondiale de la santé) sur les man£uvres entreprises par les industriels pour masquer les dangers du tabac.
Ils s'appuyent aussi sur l'enquête publiée au début de l'année accusant les fabricants d'organiser eux-mêmes la contrebande de cigarettes de manière à augmenter leurs parts de marché.
Confrontée dans les pays riches à des barrières légales de plus en plus nombreuses, l'industrie du tabac cherche à développer ses marchés dans les pays où les textes et les instances de contrôle sont moins sévères.
"Pour les pays pauvres, ce sera une tragédie immense, qui submergera leurs systèmes de santé", estime le Dr Thomas Houston, de l'Association médicale américaine et coprésident de la conférence.
Un être humain sur dix est menacé.

D'ici à 2030 l'Organisation mondiale de la santé estime que 500 millions de personnes vont mourir à cause de leur consommation de tabac dans les années qui viennent.
Cela représente un dixième de la population mondiale.
Et parmi ces victimes, 70% se trouvent dans des pays en développement, principalement parce qu'elles ne sont pas informées des dangers de la cigarette. "Beaucoup de gens pensent que le cancer est une maladie contagieuse. Il existe un terrible déficit d'information sur les cancers en général et ceux liés au tabac en particulier", juge le Dr Thomas Houston. Les travaux de cette XIème conférence mondiale sur le tabac (la précédente avait eu lieu à Pékin il y a trois ans) sont consacrés entre autres aux recherches sur les causes de l'accoutumance à la nicotine, sur le bilan des différentes campagnes anti-tabac, et sur l'analyse des techniques publicitaires et commerciales employées par les industriels.

 

Les fabricants de cigarettes sont une nouvelle fois sur la sellette :

La CPAM de Saint-Nazaire a remporté sa première victoire sur les fabricants de cigarettes, malgré les tentatives des défenseurs des quatre sociétés de tabac impliquées (Altadis -ex-Seïta-, Philip Morris, Reynolds, Rothmans) de plaider l'irrecevabilité, les magistrats ont finalement estimé que la plainte déposée en 1999 par la CPAM pouvait être examinée par un tribunal.
La Caisse de Saint-Nazaire réclame 18,66 millions d'euros aux fabricants de cigarettes en vue de la dédommager des sommes dépensées pour soigner, entre 1997 et 2002, les 1023 malades atteints de pathologies liées à la consommation de tabac, parmi lesquelles des cancers du poumon, du larynx ou de la glotte.
Elle demande aussi le versement annuel de 3,6 millions d'euros "tant que les cigarettiers ne fourniront pas aux fumeurs le moyen de se désintoxiquer".
Car il s'agit bien là du fondement de l'argumentation de la CPAM qui estime que les industriels du tabac n'ont pas donné aux consommateurs toute l'information nécessaire sur la nocivité des cigarettes, alors que celle-ci est avérée depuis très longtemps.

La première loi sur le tabac date de 1976 mais dès les années 50, des études ont démontré "le caractère addictif et cancérigène" de la cigarette.
Pire, les fabricants auraient? souvent, délibérément tenté de contourner l'application de la loi. Ils ont ainsi déjà été condamnés "80 fois pour détournement de la loi Evin" qui concerne notamment l'interdiction de la publicité sur le tabac, adoptée en 1991.

"150 secondes de bénéfices" :
pour la CPAM, l'objectif n'est pas "d'interdire le tabac mais de combattre la dépendance". Elle estime de ce point de vue qu'il s'agit d'un "procès de principe entre la santé publique et une industrie irresponsable".
La CPAM met en avant le nombre de morts dues chaque année au tabac, environ 60 000 en France, pour appuyer son argumentation et demander aux industriels d'assumer leur part de responsabilité dans la gestion de ce que l'Organisation mondiale de la Santé qualifie de nouvelle "épidémie". "Ce que nous demandons, ce n'est jamais que 150 secondes de bénéfices pour ces sociétés".

Du point de vue des fabricants de cigarettes, les choses ne sont pas aussi évidentes. Et l'enjeu dépasse le simple dédommagement du préjudice subi par la CPAM de Saint-Nazaire. Si le tribunal donne raison à cette dernière le 29 septembre prochain, date à laquelle il doit rendre son jugement, les industriels risquent de voir ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s'engouffrer d'autres plaignants. Et cette perspective ne les séduit évidemment pas dut tout.
Pour éviter d'en arriver là, les "cigarettiers" ont choisi de développer une rhétorique bien huilée sur la responsabilité individuelle du fumeur qui prime sur celle du fabricant et sur le fait que l'information en matière de santé publique incombe avant tout à l'Etat. Les défenseurs des industriels ont aussi plaidé sur l'absence de fondement juridique dans un procès "bâti sur des notions morales plutôt que de droit". De ce point de vue, ils remettent en cause la légitimité de la Caisse primaire d'assurance maladie, qui n'a subi aucun "préjudice propre", à intenter une telle action en justice et à essayer de se faire rembourser de sommes dépensées dans le cadre même de sa mission.

Des procès similaires ont déjà eu lieu aux Etats-Unis il y a quelques années.
Les fabricants ont alors préféré passer des accords avec 46 Etats, qui estimaient avoir subi un préjudice en devant assumer la prise en charge des malades du tabac, et accepter de leur verser plus de 200 milliards de dollars sur 25 ans, en échange de l'engagement de ne plus être poursuivis en justice. Ce type d'arrangements a certainement donné des idées aux caisses primaires d'assurance maladie françaises dont l'un des objectifs affichés est d'obliger les fabricants à assurer la prévention des risques et l'aide à la désintoxication des consommateurs. Un moyen, en quelque sorte, de redistribuer utilement les bénéfices du tabac.

La surenchère des procès :

Les deux dernières décennies ont été marquées par une montée en puissance des procès contre les grands fabricants de cigarettes.
Lancée aux Etats-Unis, cette tendance a peu à peu touché l'Europe et la France. Les actions en justice ont contribué à mettre en difficulté les industriels du tabac présentés comme responsables des dégâts provoqués sur la santé des fumeurs. Ils ont payé le prix de cette situation en terme d'image mais aussi en dollars sonnants et trébuchants car ils ont parfois été contraints de verser des sommes astronomiques aux victimes du tabac.
Mais les fabricants de cigarettes ont tenu bon et ont su faire jouer leur poids économique dans ce combat juridique par avocats interposés.
Aujourd'hui, ils s'en sortent plutôt bien. Philip Morris (Marlboro), RJ Reynolds (Camel, Winston), Lorillard, Liggett et Brown et Williamson, cinq des plus grands fabricants de cigarettes américains, ont obtenu le 21 mai 2003 dernier l'invalidation d'un jugement d'un tribunal de Floride, prononcé contre eux en 2000, et qui les avait condamnés à verser à quelque 500 000 fumeurs la somme record de 145 milliards de dollars au titre de dommages et intérêts.
Cette décision de justice était intervenue au terme d'un procès de deux ans, intenté en nom collectif par les plaignants qui estimaient n'avoir pas été suffisamment informés par les fabricants des risques liés à la consommation de cigarettes.
Il s'agit d'une véritable victoire pour les industriels du tabac qui, s'ils avaient dû payer l'amende auraient été conduits à la faillite. L'ensemble du jugement a été invalidé en appel. Les magistrats ont ainsi confirmé d'autres décisions de justice prises, dans le cadre d'affaires similaires, par des tribunaux américains qui ont décidé que les réclamations des fumeurs ne pouvaient pas être déposées en nom collectif et que chacune d'entre elles devaient faire l'objet d'un examen particulier. Six des neuf juges qui ont délibéré ont, d'autre part, estimé que le montant des dédommagements n'était "ni raisonnable, ni proportionné à la nature des fautes" commises par les industriels du tabac. La Cour suprême des Etats-Unis avaient d'ailleurs elle aussi été dans ce sens en cassant, au début du mois d'avril, un jugement d'un tribunal de l'Utah qui avait condamné un assureur à verser une amende jugée "astronomique" à un plaignant.

Cette décision, même si elle a été prise dans le cadre d'une affaire n'ayant aucun lien avec la consommation de tabac, a fait le bonheur des industriels du secteur puisqu'elle va dans leur sens.

La contre-attaque des fabricants :

Une nette tendance à condamner les fabricants à des amendes très importantes a, en effet, été notée ces dernières années.
En 2002, par exemple, un tribunal de Californie a estimé que Philip Morris devait payer à une fumeuse de 64 ans atteinte d'un cancer du poumon incurable une somme de 28 milliards de dollars qui a finalement été ramenée, après accord avec la plaignante, à un montant beaucoup plus "raisonnable" de 28 millions. Dans ce contexte, le filon des procès contre les industriels du tabac a été largement exploité. Tous les arguments ont été invoqués pour mettre en avant leur responsabilité : du manque d'information sur les conséquences de l'usage de la cigarette, à l'incitation pure et simple à la consommation d'une substance dangereuse.
Et toutes les sortes de plaignants ont été observées :
des particuliers accrocs à la cigarette et atteints d'une maladie liée à sa consommation, aux Etats ou caisses d'assurance maladie, en passant par les familles des malades dépendants de la cigarette.
Certains cabinets d'avocats, surtout aux Etats-Unis, se sont d'ailleurs spécialisés dans ce domaine très rentable.
De nombreux plaignants ont obtenu gain de cause. Philip Morris a ainsi dû verser 79 millions de dollars à la famille d'un fumeur décédé en juin 2002.
En 1997, un groupement d'hôtesses de l'air et de stewards a même obtenu 349 millions de dollars de dédommagement parce que ses membres avaient souffert de tabagisme passif.
Mais les fabricants ont réussi grâce à l'aide de leurs nombreux conseils à mettre en place une stratégie qui a conjugué habilement la contre-attaque juridique et les concessions médiatiques.
Les industriels ont notamment mis en avant qu'ils ne sont pas responsables des politiques de santé publique qui relèvent de la compétence des Etats. Et qu'ils s'en tiennent à respecter les lois en matière d'information et de publicité, une fois qu'elles sont adoptées. Ils ont aussi insisté sur le fait que la consommation de tabac relève de la responsabilité individuelle avant de relever de celle du fabricant de cigarettes.

D'autre part, ils ont fait jouer leur poids économique. L'industrie du tabac représente, en effet, des chiffres d'affaire colossaux et génère des milliers d'emplois. Philip Morris, le leader mondial du secteur, a par exemple réalisé en 1999 un bénéfice net de 7,7 milliards de dollars pour un chiffre d'affaires de 61,7 milliards.
L'industrie du tabac représente donc une véritable manne pour les Etats en terme de taxes et autres impôts auxquels la vente de cigarettes est assujettie. C'est à ce niveau que sont apparues un certain nombre de contradictions de la part des Etats.

D'un côté, certains d'entre eux ont intenté des procès aux fabricants de cigarettes pour obtenir des dédommagements à cause des surcoûts représentés par la prise en charge médicale des fumeurs malades.
De l'autre, ils perçoivent des revenus liés à la commercialisation des cigarettes.

Le paradoxe le plus flagrant a été observé en France à l'occasion des procès contre la Seita (Altadis), société d'Etat chargée d'exploiter le monopole fiscal des tabacs, donc de faire rentrer dans les caisses l'argent des cigarettes mais pas de diffuser l'information en matière de santé publique.
Une contradiction sur laquelle de nombreux plaignants ont insisté. Mais les industriels du tabac ont aussi joué la carte de la bonne volonté. Ils ont ainsi négocié en 1998 avec 46 Etats américains et accepté de leur verser 206 milliards de dollars sur 25 ans pour financer les dépenses de santé liées à la consommation de tabac. De cette manière, les fabricants ont obtenu un arrêt des procès intentés par les Etats directement.
Cet accord ne les a pas mis à l'abri des plaintes particulières ou collectives de fumeurs. Mais dans ce domaine, les derniers jugements rendus ont souvent permis, en appel, soit de diminuer les dédommagements, soit de débouter les plaignants.

 

Les multinationales du tabac font de la contrebande :

Un groupe de journalistes américains s'est plongé dans les documents internes des industriels du tabac dévoilés à l'occasion de plusieurs procès aux Etats-Unis.
Ils y ont découvert que si la contrebande est le plus souvent aux mains des mafias, elle se produit avec l'assentiment des fabricants.
La Commission européenne a décidé de porter plainte contre les fabricants de cigarettes. A Bruxelles, on soupçonne fortement les industriels du tabac d'encourager la contrebande de cigarettes qui atteint des niveaux records ces derniers mois aux frontières de l'Union européenne.
Rien qu'en France, ce sont 200 tonnes de cigarettes qui ont été saisies en 1999.
Au total, pour les Quinze, ce sont plus de cinq milliards d'euros de manque à gagner, c'est-à-dire de taxes qui n'entrent pas dans les caisses européennes.
Dans ce combat judiciaire, l'Europe ne fait que suivre l'exemple canadien. Le département de la Justice d'Ottawa a déposé plainte en 1999 devant le tribunal fédéral de l'Etat de New York. Une plainte qui vise les sociétés RJR-Macdonald Inc, RJ Reynolds Tobacco Holdings et le Conseil canadien des fabricants de cigarettes (Tobacco Manufacturer's Council).
Les autorités canadiennes réclament un milliard de dollars canadiens (environ 700 millions d'euros) en guise de réparation pour les pertes fiscales subies en raison de la contrebande.
La plainte canadienne a été déboutée en première instance, au mois de juin dernier, mais les autorités d'Ottawa ont décidé de faire appel.
Les soupçons des autorités canadiennes, comme ceux de la Commission européenne, se fondent sur l'étude des documents internes aux multinationales du tabac qui ont été révélés lors des différents procès organisés aux Etats-Unis ces dernières années.
A partir de ces documents mis au jour devant les tribunaux, un groupe de journalistes appartenant au Consortium international des journalistes d'investigation a mené l'enquête. Ils ont réussi à établir que "contrairement aux proclamations maintes fois répétées des industriels du tabac qui affirment que la contrebande de cigarettes provient du crime organisé ou d'employés indélicats, les documents montrent que les cadres supérieurs des multinationales ou de leurs filiales cherchent à contrôler et à exploiter la contrebande dans le cadre d'une stratégie de marketing au niveau mondial en vue d'accroître les bénéfices".
Intermédiaires de complaisance :
L'enquête porte essentiellement sur les activités du numéro deux mondial du secteur, BAT (British American Tobacco).
Après six mois d'enquête et après avoir passé au crible 11 000 documents internes de l'entreprise et de ses filiales, les journalistes ont acquis la certitude que BAT organise la contrebande de ses propres produits afin de contourner les barrières douanières et tarifaires mises en place par les gouvernements dans le cadre de politiques de prévention du tabagisme.
Pour accroître leurs parts de marché, les experts en marketing de BAT suggéraient parfois de lancer des campagnes de publicité dans certains pays, ce qui suscitaient des réactions dans l'entreprise. Des notes internes montrent que des mises en garde étaient parfois adressées rappelant qu'il serait déplacé d'organiser une campagne de promotion dans un pays où, officiellement, la société ne vend pas de cigarettes et où ses produits ne sont présents que par le seul biais de la contrebande. Le terme même de contrebande n'apparaît jamais dans les documents étudiés par les journalistes.
On trouve une série d'euphémismes qui ne parviennent pas à camoufler la réalité.
Le terme le plus communément employé est "droits non payés" pour désigner une marchandise.
On parle aussi de "commerce général", employé par opposition aux "exportations légales".
Même s'ils ne mettent pas directement la main à la pâte dans les opérations de contrebande en augmentation constante, les industriels du tabac ne pourront pas longtemps se camoufler derrière les intermédiaires de complaisance auxquels ils vendent une bonne partie de leur production destinée à l'exportation.
Les instances dirigeantes des grandes firmes savent parfaitement que les cigarettes en question sont destinées (avec l'aide des mafias locales) à entrer sur les marchés où les taxes sont élevées. En raison de l'enjeu, les procédures judiciaires engagées par le Canada et la Commission européenne s'annoncent longues et difficiles.

Les complots des fabricants de cigarettes :
Les industriels du tabac ont mené des "activités souterraines, invisibles, secrètes" pendant des années afin de torpiller les programmes de lutte contre le tabagisme.
Les multinationales du secteur ont effectué "une tentative de subversion", dénonce le rapport rédigé par un comité d'experts indépendants mandatés par l'OMS (Organisation mondiale de la santé). C'est une véritable machination que dénoncent les quatre experts du comité indépendant mis sur pied par l'OMS (organisation mondiale de la santé).
Dans un rapport de 260 pages, ils accusent l'industrie mondiale du tabac de "tentative de subversion" visant les programmes de lutte contre le tabagisme de l'OMS. En se basant sur les documents internes des multinationales révélés lors des différents procès qui ont eu lieu ces dernières années aux Etats-Unis, les experts estiment qu'un "petit groupe de sociétés tente de saper les efforts de l'OMS" et qu'il s'agit d'une "tentative de subversion bien financée, sophistiquée et généralement invisible".
Parmi les exemples cités dans le rapport, on note le cas de scientifiques ou de journalistes qui ont pu travailler temporairement dans certains comités de l'OMS sur le tabagisme et qui ont été manipulés par les multinationales.
Par ailleurs, certains experts ont participé à des activités de l'OMS sans révéler qu'ils étaient par ailleurs rémunérés par l'industrie du tabac.
Les services de ces "agents d'influence" des multinationales du tabac étaient payés "de 70 000 à 100 000 dollars", estime Thomas Zeller, le principal auteur du rapport qui est aussi le directeur de l'Office suisse de la santé.
Dans une interview au quotidien helvétique Le Matin, il cite l'exemple du Centre international de recherche contre le cancer à Lyon.
Selon Thomas Zeller, "des scientifiques de cet organisme ont approché l'OMS pour tenter de modifier les résultats d'études sur le tabagisme passif. On a appris ensuite que ces scientifiques étaient mandatés par l'industrie du tabac".

L'OMS est la cible n°1 des industriels du tabac :

L'OMS constitue un objectif prioritaire pour les industriels du tabac, mais elle n'est pas la seule cible. D'autres institutions comme la Banque mondiale ou l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont également été soumises aux "pressions" de l'industrie du tabac.
Parmi les principales firmes mises en causes dans le rapport figurent deux géants de l'industrie du tabac : BAT (British American Tobacco) et Philip Morris. Cette dernière multinationale est notamment mise en cause suite à la découverte du Boca Raton action plan. Ce plan d'action de Boca Raton (du nom de la ville de Floride dans laquelle il a été rédigé) fixe la stratégie secrète de Philip Morris à la fin des années 80.
D'après le rapport de l'OMS, ce plan d'action confidentiel fait du "programme de contrôle du tabac de l'OMS la première des 26 menaces identifiées" par cette multinationale.
Aujourd'hui, "nous avons changé", plaident les fabricants de cigarettes. Les pratiques déloyales que dénoncent les experts de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) appartiennent au passé expliquent-ils en substance, estimant du même coup qu'une ancienne faute avouée peut être à moitié pardonnée. Il n'en est rien, rétorque le principal auteur du rapport.
La majorité des faits dénoncés dans le rapport remontent aux années 1990-95, explique Thomas Zeller.
Les industriels du tabac vont avoir de nouvelles occasions de tenter de discréditer ou freiner l'action de l'OMS.
L'Organisation mondiale de la santé doit superviser à partir du mois d'octobre les négociations en vue d'élaborer le premier traité international limitant l'usage du tabac et interdisant sa publicité.

Edito Juillet 2003