C'est toute l'âme provençale
qui s'exprime lors des fêtes familiales de Noël !
La tradition veut que le "temps de Noël" dure 40 jours, jusqu'à la Chandeleur.
Toute la culture provençale ancienne se réveille alors.
Les crèches avec leurs santons décorent les villages, qui s'animent au son
des crèches parlantes ou des pastorales.
Pendant la messe de minuit, le rite pittoresque du pastrage est un moment
d'émotion.
Puis vient le moment des fifres et des tambourins...
Noël ! Noël en Provence !
En Provence, Noël dure presque
deux mois : du 4 décembre au 2 février.
C'est ce qu'on appelle la période calendale.
Avant Noël, on se prépare en plantant le blé de Sainte Barbe, en mettant en
place la crèche avec tous ses santons.
Le 24 décembre, on fait le gros souper maigre (lou gros soupa), on célèbre
la messe de minuit avec ses offrandes et son pastrage et on déguste les 13
desserts après avoir fait le le "cacho fio"
Après Noël, on attend l'Epiphanie, le Jour des Rois Mages…
On joue la pastorale, on chante les Noëls, jusqu'au 2 février, jour de la
Chandeleur…
La période Calendale :
A partir du mois de Novembre,
la terre se repose… Les paysans ont rentré leurs récoltes (sauf les olives
et les truffes…), les travaux se raréfient et l'homme devient maître de son
temps…C'est l'époque des longues veillées en famille ou entre voisins. Autour
de la cheminée, bêtes et gens prennent leur temps. On y fait de menus travaux
(écosser les haricots, casser les noix, déboguer les châtaignes…) C'est le
temps des contes, des histoires, des chansons aussi.Noël arrive au beau milieu
de cette période de loisirs forcés. On a tout le temps de s'y préparer, d'y
intéresser les enfants, d'y rencontrer les amis :
C'est l'AVENT…
Traditionnellement ouvert par la sainte barbe (4 décembre), l'avent est rythmé
de la répétition des chants, de la préparation des repas de Noël, de la décoration
de la maison et la construction de la crèche, de la " sonnerie des eaux "
On regroupe toute la maisonnée pour la NUIT de NOEL : réconciliations, repas
maigre (le gros souper), messe de minuit, cérémonie du Cacho fio, dégustation
des les treize desserts.
Le 25 décembre, on savoure la dinde de noël tous ensemble avant d'aller visiter les crèches des voisins…
Les quarante jours qui suivent,
correspondant aux anciennes Calendes Romaines, conduisent du 26 décembre au
2 février. La quarantaine de Noël " : c'est la période calendale.
On chante les noëls, on jour la Pastorale, on célèbre les Rois Mages, on joue
au Loto… avant de ranger la crèche le 2 février !
Le Blé de Sainte Barbe :
Pour patienter
en attendant Noël, le 4 décembre les familles plantent le blé de Sainte Barbe.
Dans une jolie soucoupe (lou sietoun) on dispose un peu de coton ou de la
mousse et on y sème des graines de blé ou des lentilles. Placées à la lumière
d'une fenêtre, les graines sont généreusement arrosées et en quelques jours
plus tard, de petites pousses vertes commencent à orner l'assiette.
La croissance du blé de Sainte Barbe est un symbole très fort : c'est l'espérance
de bonnes récoltes futures !
Qu'il pousse bien dru, bien vert, bien droit et c'est la certitude d'une année
faste.
La taille de la touffe de blé indique aussi la proximité de la fête : plus
le blé est haut, plus on s'approche de Noël. Il fait donc aussi fonction de
calendrier de l'Avent.
Entouré d'un joli ruban, le Blé de Sainte Barbe trônera sur la la table de
noel, rappelant par sa verdure les jours meilleurs et le Printemps.
Faut-il rappeler les anciennes croyances : au plus fort de l'hiver, on redoutait
la diminution du jour et le non-retour du printemps.
Cette verdure, dans la maison, est une offrande à la nature pour l'agrandissement
du jour solaire. Le sapin des régions Nordiques a la même fonction.
Sitôt la fête terminée, le Blé de Sainte Barbe est rendu à la nature : on
divise la touffe en quatre et on le replante aux quatre coins d'un champ déjà
ensemencé.
La Table de Noël :
Décorée du Blé
de sainte barbe enrubanné, recouverte de 3 nappes superposées, que l'on enlèvera
une à une au cours des 3 repas de Noël : gros souper, repas de noël (le 25)
et celui du 26 ou l'on se contentait de l'aigo-boulido (l'eau bouillie, relevée
d'ail et de sauge ! On en trempait de grandes tranches de pain).
La table est illuminée : trois chandeliers portant chacun trois chandelles
donnent une lumière inhabituelle dans ces maisons éclairées autrefois par
un simple lumignon… Mais gare aux mauvais présages si la flamme d'une chandelle
vient montrer toute la soirée un convive en particulier… Il y a de grandes
chances qu'il ne participe pas aux prochaines agapes de Noël !
Les desserts sont souvent étalés
au centre de la table, ou du moins bien en vue… comme pour faire perdre patience
aux enfants (grands et petits) et signifier les interdits ! La table réunit
la grande famille provençale, bien au delà des ascendants et descendants.
Les collaborateurs réguliers ont leur place ce qui n'arrive souvent qu'une
fois l'an… Bergers, ouvriers, jardiniers… participent à la fête à la table
du Maître. On a aussi pris soin de laisser une place vide : l'assiette du
Pauvre ! En espérant qu'un de ces malheureux prenne le chemin de la maison
pour partager ce repas de fête !
La table de Noël reste mise toute
la nuit.
Les derniers à aller se coucher attrapent les quatre coins de la nappe supérieure
et la replie vers le centre de la table.
On laisse ainsi en place les reste du repas, que l'on destine aux " âmes "
de ceux qui ont quitté la maison, mais dont l'esprit est encore présent. Ils
viendront se mettre à table dès qu'on sera couché…
Le Gros souper :
Malgré son titre
ronflant, " Lou gros soupa " est un souper …maigre ! Mais abondant et varié.
Il est composé avec amour par toute une famille, chacun met la main à la pâte
", car les préparations sont longues et délicates, même si elles ne sont pas
coûteuses (du moins dans l'idée qu'on se fait d'une ferme provençale, vivant
quasiment en autarcie, et utilisant au mieux les productions locales…).
On retient généralement 7 plats maigres, représentant les 7 plaies supposées
du Christ en croix, le menu variant en fonction des réserves locales.
Certains plats reviennent avec constance, comme les épinards, les côtes de
blettes en sauce, les cardes (qu'il ne faut pas confondre avec les blettes),
les escargots, l'anchoïade (sauce à base d'anchois et d'ail tartinée sur des
tranches de pains passées au four) ou la bagna cauda (servie chaude) servie
avec des légumes crus ou cuits (carottes, céleri, pommes de terre, côtes tendres
de cardes), la morue ou la muge (ou tout autre poisson)…
On mange avec bon appétit, mais sans excès, en gardant à l'esprit qu'après la messe de minuit on se retrouvera pour ce que Mistral appelait " la San Créboto " : la Saint Crevé… manger à en crever !
Pour gommer les pertes caloriques dues à un cheminement plus ou moins long dehors, dans la froidure, puis à un séjour de deux heures dans une église rarement chauffée, et surtout pour fêter dignement l'arrivée du Messie, on présente un plat consistant, gras celui-là, comme un rôti ou un civet, ou quelques volailles truffées… avant de s'attaquer aux treize desserts !
La Dinde sera servie le 25 à midi.
Le chef de famille serait déshonoré s'il n'avait pas les moyens de l'offrir
à ses convives.
Le Mont de Piété servait de dernier secours à ceux qui n'hésitaient pas de
s'endetter pour y parvenir…On raconte volontiers l'histoire de cette vieille
qui n'avivait pas à se réchauffer dans le lit, la nuit de noël et qui cherchait
en vain son édredon : " ton édredon, tu l'as dans le ventre… " répondit le
mari, qui l'avait gagé le matin même, pour payer la dinde !
Sonnerie des Eaux :
La belle tradition que celle de
" sonner les eaux " !
Les douze jours qui précèdent Noël sont importants : ils représentent le décompte
final avant la fête tant attendue et sont marqués par une stricte observation
des repas maigres, par un relevé scrupuleux de la météo, censée représenter
les douze mois de l'année à venir et par la sonnerie des cloches le soir,
au moment du coucher du soleil.
On disait qu'on sonnait les eaux " ! A ceux qui s'aventuraient dans une demande
d'explication, on avait un malin plaisir à leur dire que la Sainte Vierge,
qui allait " faire le petit ", commençait pas " faire les eaux " !
En réalité, aux cours des vêpres de ces jours précédant Noël, les antiennes
reprises par la foule commencent par un O ! " : O !, Enfant Jésus… O !, Vierge
Marie. On sonne donc les O ! ".La tradition n'est pas gratuite : la sonnerie
était destinée à prévenir de l'arrivée de la fête, en particulier pour ceux
qui vivent isolés (comme les Bergers…) et qui sont ainsi renseignés en dehors
de tout calendrier…La civilisation des supermarchés ne se pose pas ce genre
de question…
Les villes qui possèdent un carillon, comme Manosque ou Avignon, ont maintenu
cette tradition en un concert de cloches jouant les noëls traditionnels.
Le Cacho fio :
De retour de la la messe de minuit,
la famille est réunie par le Maître de Maison autour de la cheminée.
Un rituel se prépare :
Le plus vieux et le plus jeune de la maisonnée vont chercher la bûche " :
c'est un beau morceau de bois fruitier, mis de côté depuis l'été. Ils lui
font faire trois fois le tour de la table et viennent la déposer sur le lit
de braises, dans la cheminée. Dès que le bois bien sec se couvre de flammes,
là mère s'approche et jète sur la bûche une poignée de gros sel : elle purifie
le feu.
Le père s'approche à son tour, et jette un verre de vin cuit (préparation
à base de moût de raisins et de vin fortement alcoolisée). La flamme s'élève
et illumine tous les visages tendus vers l'âtre.
Alors, le père se tourne vers sa maisonnée et récite :
" Alègre, Alègre !
Allégresse, Allégresse !
Mi beùs enfants, Dièu nous alègre !
Mes beaux enfants, que dieu nous réjouisse
Cacho Fio vèn, Nouvè vèn, tout vèn bèn !
Cacho fio vient, Noël vient, tout vient bien Dièu nous fague la grâci de veire
l'an que vèn
Dieu nous fasse la grâce de voir l'an qui vient
E se noun sian pas mai, que noun fugue pas mens
Et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.
Cacho fio : littéralement changer
de feu :
La vieille bûche qu'on vient de déposer dans la cheminée va brûler une bonne
partie de la nuit. Mais ensuite, on ne remettra plus de bois dans l'âtre.
On ne doit pas toucher au feu de noël ! Ca porte malheur ! Le feu va s'éteindre
et on le rallumera le lendemain. Ce feu tout neuf est celui de la nouvelle
année qui commence, fixée par tradition au lendemain de Noël.
On a donc fait cacho fio " : changé le feu ". On a aussi changé d'année…
La messe de Noël :
Célébrée le 24 décembre à minuit, la
messe de Noël est le moment le plus spectaculaire du Noël en Provence.
Même si, de nos jours, l'absence de prêtre fait que la cérémonie est souvent
décalée dans le temps. Même si le confort moderne et l'usage de la voiture
prive les paroissiens d'un des moments les plus exaltants de la tradition
: le voyage à pied, torche ou lanterne à la main, emmitouflé dans une couverture,
une feuille de papier journal glissée sur le torse pour couper le mistral
!
Chacun apporte son offrande " : un peu de lui même, de sa production, quelque
chose qui lui ressemble : poisson du pécheur, gibier du chasseur, pain du
boulanger, raisin ou vin du vigneron…
Après une courte veillée de chants souvent consacrée à la mise en place de
la crèche vivante (arrivée de Joseph et Marie, installation dans la crèche,
réveil des villageois… ) vient l'interprétation brillante du " Minuit Chrétien
", véritable institution dans les églises de Provence.
Comme par miracle, à la fin du chant, le Petit Jésus a pris place au sein
de la crèche.
Alors, pendant l'offertoire, le petit
peuple s'approche et vient déposer ses offrandes, précédé du tambourinaire
qui joue les airs traditionnels. Le défilé est clos par le berger qui apporte
un agneau vivant : c'est le pastrage.
Parmi les offrandes trône en bonne place le pain, le sel, l'œuf et l'allumette
: vœux de la Provence aux enfants nouveau-nés :
Petit, dans la vie,
Pichot, per la vido,
Soit bon comme le pain,
Sias boun coume lou pan,
Sage et pur comme le sel,
Sagi coume la sau ,
Droit comme une allumette,
Drè coum'una bruquetto,
Et plein (de bonne vie) comme un œuf !
E plein coum'un uio !
Les treize desserts :
S'il est un moment de la tradition calendale
qui marque les esprits, c'est bien celui des treize desserts !
Mais pourquoi treize ?
Pour bien comprendre cette tradition, il faut remonter au temps des familles
rurales, telles qu'elles étaient en majorité en Provence.
Dans les fermes, on savait bien que l'hiver serait long. Surtout si l'on considère
que l'hiver véritable est cette période dans laquelle il n'y a pas récoltes.
Et Noël n'est jamais qu'aux premiers jours de cette période. Il va falloir
nourrir toute cette maisonnée sur les réserves accumulées depuis l'été. Et
la famille provençale concernée est grande : elle comprend tous les ouvriers,
les bergers, les jardiniers… en plus des parents et des enfants… Souvent plusieurs
générations vivent sous un même toit. Autant de bouches à nourrir.
Arrive la fête de Noël : à sa grande
famille réunie, le Maître de Maison veut montrer l'abondance. Une façon de
leur dire : pas de soucis ! l'hiver est long, mais les réserves sont là…
Alors la Maîtresse de Maison fait le tour de son domaine et aligne sur sa
table de Noël tout ce qui ressemble à un dessert.
Et il n'y a pas de chiffre particulier : on parle parfois de 17, 21, 25 desserts
!
Comment revient-on à 13 ?
Simplement en passant de la campagne à la ville ! Au début du 20ème
siècle, les populations rurales quittent les fermes et s'installent dans des
appartements en ville. Plus question de stocker des denrées que l'on trouve
au coin de la rue. Finies toutes ces astuces pour conserver les fruits… on
achète au fur et à mesure.
Du coup, on limite les nombre de desserts et le chiffre de 13 s'impose comme
une évidence : les douze apôtres et Jésus !
C'est donc à Marseille, au début de ce siècle que naissent les 13 desserts
!
Et non plus " une multitude de desserts ", non chiffrée, comme on disait autrefois.
De cette explication vient tout naturellement
la composition des 13 desserts !
On met ce qu'on a ! Pas de liste officielle ! Pas d'interdit !
On retrouve des constantes :
les mendiants,
fruits secs dont la couleur rappelle celles des robes de bure des ordres mendiants
: noix, noisettes, amendes, figues, raisins ou abricots secs, dates au noyau
marqué d'un o " en souvenir de l'étonnement de la Vierge.
Viennent ensuite les fruits de saison : la pomme, la poire, l'orange, la mandarine,
le raisin que l'on a pendu aux poutres du grenier, le melon vert que l'on
a gardé sous la paille…
Puis les préparations " maison " : les oreillettes ou " merveilles ",
le nougat noir ou blanc, les pâtes de fruits et les fruits confits…
...la liste n'est pas limitative.
Tout au plus garder une place à part pour la Pompe à l'huile, appelée aussi
Gibassier dans le pays d'Arles.
De même pour la Fougasse dans le reste de la Provence : c'est un pain
brioché, au bon parfum d'huile d'olive et de fleur d'oranger que les boulangers
offraient autrefois à leurs clients fidèles au temps de noël…
Le tout est servi avec du vin cuit, la Carthagène : le moût de raisin frais
est mis à bouillir avec son jus dans une grande marmite. Quand il a réduit
de moitié, on lui incorpore de l'alcool , du sucre et un parfum de fleur d'oranger.
On le met ensuite en bouteille et on le fait vieillir pendant une année.
La Crèche et les Santons :
Dès le IV siècle, à Rome, le Pape Libère
honore une représentation de la naissance de Jésus. Un bas relief représentant
l'évènement, la visite des bergers et des Rois Mages existe sur un sarcophage
en Provence depuis le 6ème siècle.
Mais l'idée de faire jouer la scène biblique par des personnages (en bois)
revient à Saint François d'Assise, au 12ème siècle. Il obtint, en 1223,
du Pape Honorius III l'autorisation de bâtir cette étable dans une grotte
de Greccio, dans les Abruzzes Saint François d'Assise ( Il Francesco, le français)
était le fils d'une Tarasconnaise !
Ses origines Provençales l'ont-il inspiré ?
Toujours est-il que son invention fit florès : les Franciscains puis les Carmélites
se chargèrent de la diffuser avec l'évangélisation des peuplades méditerranéennes.
Au Moyen Âge, des créateurs populaires
reprennent ce thème de la nuit de noël pour improviser leur propre histoire.
C'est le mystère.
L'idée d'un peuple en marche vers un lieu mystique, une pauvre étable, pour
la visite à l'Enfant Roi se précise.
Elle se transmet au travers des chansons composées par les noëlistes, dès
le 14ème siècle.
Au 17ème siècle, l'art du chant de Noël en Provence est si populaire qu'on réunit dans des églises ou des salles paroissiales des foules considérables qui assistent aux "crèches parlantes ". Des comédiens prêtent leur voix à des personnages symboliques, représentés en bois, en argile cuite, en papier mâché, en tissus et même en verre filé. Ils entrent en scène grâce à des systèmes ingénieux de cordages qui les font apparaître et disparaître à l'instant.
Lorsqu'en 1790 les Révolutionnaires décident la fermeture des églises, les Marseillais décident de continuer à adorer l'enfant Jésus " à domicile ". Ils créent la crèche dans un décor à l'image de leurs villages et la peuple de petits personnages inspirés des santibellis napolitains : ce sont les santons.
La tradition perdure : chaque famille
entretient ce décor, complète sa collection et de nombreux concours de crèche
sont organisés dans toute la Provence (le premier à Marseille en 1901).
L'idée se répand dans le monde entier, complétant des traditions locales souvent
très proches. Des expositions internationales prestigieuses sont organisées
(Arles).
On admet que la crèche soit montée à partir du 4 décembre (Sainte Barbe) et démontée le 2 février (Chandeleur)
Les santons :
L'invention d'un moule en plâtre permettant
de reproduire les personnages créés dans l'argile d'Aubagne ou de Gemenos
est souvent attribuée à Jean Louis Lagnel (1764-1822).
Tous les corps de métier sont représentés et viennent rapidement compléter
la scène biblique.
En moins de vingt ans, un marché existe, la vente s'organise et devient Foire
au Santons, organisée dès 1794 à Marseille.
En 1808, on compte plus de 200 modèles !
La forme du santon se fige : personnages en argile cuite, peints à la main, mesurant entre 6 et 12 centimètres (pour respecter la perspective lors de leur mise en place dans la crèche), les santons représentent le petit peuple " marseillais : artisans, commerçants, petits métiers, autorités locales…
La venue de nouveaux personnages ne
va pas sans de sérieuses discussions entre les tenants de la tradition pure
et dure et les partisans d'un certain " modernisme ".
Le Maire, le Curé, le gendarme côtoient Jésus, Joseph et Marie.
Le problème sera en parti réglé par la publication de la pastorale " d'Antoine
Maurel, en 1844, entérinant tous les anachronismes.
De nos jours, les santoniers exposent
dans les foires aux santons, dès le mois de Novembre.
C'est un art vivant, fait de tradition et de création. Et au côté de santons
très proches de ceux que l'on faisait au XVIIIème siècle, on voit naître
de nouvelles formes, de nouveaux personnages, des extrapolations quelquefois
surprenantes qui justifient le sens vivant de la tradition.
Il est même de bon ton de s'inspirer de personnages existant, comme Raimu
ou Fernandel, et même de se faire santonifier " !
C'est de cette évolution que sont nés, au début du siècle, les santons habillés, mesurant de 15 à 25 cm, dont les costumes en tissus permettent des créations variées, mais pas toujours du meilleur goût…
Il existe un syndicat des Santoniers, à Marseille.
Un Messe des Santoniers est célébrée chaque année à la mi-janvier.
La capitale reconnue du Santon est Aubagne
(13), où l'on peut voir une exposition permanente à l'Office du Tourisme,
inspirée des personnages de Marcel Pagnol.
Mais l'art du Santon s'est répandu dans toute la Provence et de nombreux ateliers
fonctionnent toute l'année.
L'épiphanie :
Le " Jour des Rois " était naguère fixé
au 6 janvier.
Il fait maintenant partie des fêtes mobiles et se retrouve au dimanche le
plus proche. Preuve qu'il n'a plus l'importance d'antan ! Et pourtant ! On
l'aura remarqué, dans la tradition calendale, il n'a pas été question de Père
Noël ou de Saint Nicolas.
En cela, la Provence respectait autrefois la tradition méditerranéenne des
Rois Mages : c'est eux qui apportent les cadeaux aux enfants sages !
Ils respectaient un cérémonial qui pouvait changer selon les villages : soit
on envoyait les enfants au devant des mages, soit ils les accueillaient sur
la place pour une distribution de cadeaux en public !
Dans plusieurs villes et en particulier à Aix en Provence, la cérémonie prend
un tour particulièrement majestueux : le peuple, massé dans la Cathédrale
Saint Sauveur, assiste à une pastorale originale, celle de Charbonnier.
Au moment où l'on évoque les Rois, le grand portail de la cathédrale s'ouvre
et leur cortège pénètre dans un flot brillant, au son de la très célèbre Marcho
di Rei (la Marche des Rois) celle là même que Bizet introduisit dans son Arlésienne.
Leur cheminement vers la crèche est ponctué des 7 reprises de la musique,
jouée crescendo sur le grand orgue, avec participation du chœur d'enfants,
de la Maîtrise et de l'orphéon.
Ils déposent leur offrande et s'en retournent, toujours accompagné de la musique,
qui va decrescendo…
On tire aussi les Rois à domicile, autour d'une frangipane, galette feuilletée garnie de pâte d'amandes.
La Pastorale :
Véritable expression du génie populaire,
la Pastorale est la forme moderne des mystères du moyen age.
Au début étaient les noëls. Petit à petit, les personnages mis en scène dans
les noëls se figent et prennent corps. Ils deviennent santons. On conte leur
histoire dans les crèches parlantes. Cette histoire subit à son tour le phénomène
de la répétitivité et devient un classique :
Au début du 18ème siècle. Un ouvrier Marseillais, artisan miroitier,
originaire de la rue Nau, une des rues les plus commerçantes des quartiers
populaires du cœur de Marseille anime des cercles d'ouvriers catholiques (on
sait peu qu'il fut le créateur d'une mutuelle d'ouvriers de Marseille qui
existe encore…).
Son nom : Antoine Maurel.
Avec ses amis de la rue Nau, il transporte l'évocation de la Nativité sur
les planches et donne à la représentation un côté théâtral qui reçoit un immense
succès.
Les autorités religieuses, un instant décontenancées, adhèrent finalement
à cette idée d'une évocation de noël populaire et la transposition en terre
marseillaise d'un Palestine d'operette pas toujours du meilleur goût.
Mais l'engouement est tel que le texte et les musiques sont publiés par Antoine
Maurel en 1844.
Désormais, la " Maurel " fera autorité.
Elle ne pourra pourtant faire oublier les nombreuses autres pastorales relatant
la nuit de noël en Provence, celles qui ont été écrites (plus de 250) et celles
qui sont totalement improvisées, comme la cérémonie des Bergers de Séguret
(Vaucluse).
Jouée pendant toute la période Calendale,
la Pastorale est écrite essentiellement en Provençal, respectant les variantes
locales de la vieille langue.
Une seule est en français ", celle d'Yvan Audouard : La Pastorale des Santons
de Provence.
Grand succès du disque depuis sont premier enregistrement en 1960, elle est
devenue un classique et a fait découvrir la tradition de Provence à Noël à
des générations d'inconditionnels dans le monde entier.
Chanter les "Noëls" :
L'héritage musical et littéraire de
la Provence est enrichi de ces œuvres au caractère populaire qu'on désigne
sous le nom de "Noëls".
Dès le 14ème siècle, les noëllistes écrivent des textes à consonance
biblique, faisant du thème de la nuit de Noël en Provence une succession de
miracles, de conversion des mécréants, d'illuminations diverses qui caractérisent
si bien le mystère de la crèche.
Petit à petit naît l'idée d'un Bethléem, village de Provence.
Le décor de la Palestine ressemble à s'y méprendre à celui du Comtat Venaissin
et nos oliviers, nos amandiers peuvent aussi bien que d'autres plus lointains
avoir servi de cadre à la Sainte Histoire !
L'imagination légendaire des Provençaux, imprégnés du latinisme Romain, de
l'hellénisme des Phocéens et autres grecs, de la gauloiserie des tribus Celto-ligures
fera le reste…
Sans compter la présence des Papes et leur Cour en Avignon ! De leur omniprésence
(de celle de leurs consuls et autres légats) dans les affaires locales naît
une connivence entre les représentants du petit peuple, celui qui parle le
Provençal ou plutôt le Comtadin dont la papauté fait souvent les frais…
Les chanoines de la Papauté d'Avignon en transcriront dès le 15ème
siècle, connus sous le nom de Noëls de Notre Dame des Doms, révélés au début
du 20ème siècle par Jean Noël Clamon et le Docteur Pansier.
C'est dans ce contexte que l'on voit arriver au 17ème siècle le prince
des noëls " : Nicolas Saboly. Son œuvre publiée dès 1650 est si populaire
que trois cent ans après, on chante toujours ses noëls dans nos églises de
Provence :
La cambo me fai mau,
Lei pastourèu an fach un'assemblado,
Per noun langui long doù camin,
Pastre dei mountagno….
D'autres noëlistes on suivit son exemple : Domergue (auteur de la Marche des
Rois, sur un air de Lully) ; Peyrol, charpentier à Marseille dont Antoine
Maurel s'inspira fortement à la création de la Pastorale ; Puech, chanoine
d'Aix en Provence et aussi les félibres Provençaux (Roumanille et Aubanel
) et Xavier de Fourvière, père de Saint Michel de Frigolet (auteur de Dins
uno cabaneto). Les musiques sont rarement des créations : on utilise plutôt
des uvres " dans l'air du temps ", uvres profanes ou cantiques et les éditions
anciennes ne portent que l'indication de l'air à utiliser.
La Chandeleur :
Marquant la fin de l'hiver traditionnel
de Provence, la Chandeleur est célébrée le 2 février. Même si la météo n'est
pas toujours au rendez vous, les jours ont suffisamment rallongé pour que
la nature reprenne ses droits.
Le Paysan n'est plus maître de son temps, et les obligations se succèdent
: tailler les arbres, remuer la terre…
C'est une date importante pour la religion (présentation de Jésus au Temple
quarante jours après sa naissance) et pour les traditions : fête de la lumière
(candelas), de l'année nouvelle, du renouveau de la nature.
Ces forces nouvelles sont symbolisées à Marseille dans ces cierges verts "
que l'on allume dans l'abbaye de Saint Victor, au dessus du Vieux Port. Leur
couleur est celle de la nature réveillée…
C'est aussi le jour de l'offrande des pécheurs de Marseille. Tenus à l'écart sur leurs barques d'une épidémie de choléra au large du port de Marseille, ils s'en furent remercier Saint Victor, leur saint patron en lui apportant des navettes, petits biscuits dont la forme rappelle leur frêle embarcation.
Depuis, la boulangerie située
sur la montée vers Saint Victor exhibe fièrement le " four à Navette " où
l'on faisait cuire ces petits biscuits et chaque année, les générations se
sont succédées pour y préparer leur offrande.
On se précipitait pour acheter ces gâteaux porte bonheur " et la tradition
voulait qu'on offrît au premier pauvre rencontré sur son chemin la première
navette tirée du sac.
C'est ce qui amenait les mendiants à se poster sur le chemin de Saint Victor
le jour de la Chandeleur, pour recevoir ce don des navettes… En d'autres lieux,
comme sur les Sorgues jaillies de la Fontaine de Vaucluse, les populations
déposaient des coquilles de noix garnies d'huile et d'une mèche allumée. Ces
petits lumignons lâchés par centaines transformaient la rivière en une traînée
de lumière. On " néguait li lume " (noyer les lumières).
C'est à la Chandeleur que l'on range la crèche. Noël n'est plus qu'un souvenir…